La chanson des écrivains / Le Monde

Tout ce qui est en rapport avec Dominique A
Répondre
Elza
CCV Forumeur
Messages : 27
Enregistré le : lun. 28 sept. 2009, 00:17

La chanson des écrivains / Le Monde

Message par Elza »

Feuilleton de l'été dans Le Monde : Des auteurs évoquent les ritournelles qui accompagnent leur travail d'écriture.

Et ça commence avec Arnaud Cathrine qui évoque Le courage des oiseaux.
La poésie épurée de Dominique A

C'était en 2003, je crois. On parlait beaucoup, à l'époque, de l'influence du cinéma sur notre génération d'auteurs. A raison. Il était moins question des autres disciplines artistiques, et notamment de la chanson. Dieu sait pourtant que nous sommes quelques-uns à avoir une belle et grande dette à son égard. Brigitte Giraud et Olivier Adam, entre autres, ne démentiraient pas. C'est justement avec Olivier que nous eûmes l'occasion, pendant le festival Les Correspondances de Manosque, d'en parler à Dominique A directement. Il évoqua ses influences littéraires, de notre côté nous évoquâmes nos influences musicales. Nous ne nous privâmes pas de spécifier combien lui, Dominique, était un musicien, un interprète mais également un auteur extrêmement marquant à nos yeux et dont l'oeuvre (osons le mot) accompagnait et accompagne encore l'écriture de nos livres. Parce qu'il est élégant et humble (ce qui n'a jamais exclu chez lui l'ambition et l'exigence), il eut un petit sourire et nous recommandâmes une bière.

En l'occurrence, et quitte à risquer la déification béate, j'aime à enfoncer le clou : sans du tout l'y enfermer, il tient de l'évidence pour moi que Dominique A est un grand auteur et, si Gainsbourg a décrété, avec un brin de provocation, que la chanson est un art mineur, il m'a toujours semblé que Dominique était un auteur majeur. De plain-pied en littérature. Il n'est pas le seul, la déification s'arrêtera là. Mais tout de même.

Il y a d'abord cette épure qui m'a souvent fait penser à Pierre Reverdy : "Toute ma vie/Je n'ai fait que rouvrir/Des fenêtres et des portes claquées/Ni poignées ni serrures/ Ne m'ont fait reculer/C'est étrange qu'aujourd'hui/Je me mette à faillir." Il y a cette écriture au couteau lorsqu'il convoque ces énergumènes qu'on n'arrive pas à aimer, qui "misent sur des chevaux aux pattes ankylosées", qui "voient des raccourcis là où il y a des impasses" et qui "reviennent sur les lieux où ils ont mal vécu/Contents d'y retrouver leur truc mal digéré". Il y a ces histoires simples que la littérature traque depuis toujours : "L'amour viendra par l'ouest/ Comme un cri cherche une bouche/ Il nous ramas-sera/En bordure de déroute/Nous offrira un lit/En défera les draps/Puis nous regardera/ Ouvrir nos bras au doute." Il y a la grande question, bien sûr, celle du sens : "Peut-être y a-t-il encore un sens qui attend que j'aille le chercher/Sagement à la maternité/ Un qui a son box aux urgences."

Et puis, il y a... Le Courage des oiseaux. Il fallait la trouver, cette image. Une image qui se tient sur le fil, comme les oiseaux souvent. Il fallait la trouver, comme Bataille a trouvé Le Bleu du ciel. Une définition possible de la poésie : l'écriture qui s'empare d'un cliché pour en faire une fulgurance pure.

C'est LA chanson que nous attendons tous pendant les concerts de Dominique A. "Si seulement nous avions/Le courage des oiseaux/Qui chantent dans le vent glacé." Nous l'attendons comme une comptine pour adultes qui nous fait nous redresser, ne pas désespérer à genoux. Et nous l'attendons parce que Dominique, qui ne tient jamais le pas gagné, la chante chaque fois dans des versions si différentes.

C'est en 1992 que nous la découvrons dans l'album intitulé La Fossette. Une voix haut perchée, aux trémolos magnifiquement assumés, déroule son voeu sur une simple basse et une boîte à rythme. Au fil des années, la chanson va muer. Nous la retrouverons incroyablement transformée pendant la tournée "Solo" de Dominique, enrubannée dans les samples aux couleurs électro qu'il empile avec grâce et animalité ; la voix déborde la mélodie, l'électricité de la guitare enfle, obsédante comme elle a pu l'être dans un autre chef-d'oeuvre, Pour la peau. C'est sur un rythme plus pressé, et porté par des guitares aiguisées comme des scies (sans doute celle de la fin de nos amours et du courage qu'il nous faut réinventer), qu'il l'interprétera pendant le live de 2007, "Sur nos forces motrices".

Je doute que les arrangements de Dominique A vieillissent mal ; en tout cas, Le Courage des oiseaux traverse les décennies, insuffle sa force motrice, pour le coup, quel que soit le vêtement musical. A l'image de Dominique qui, d'album en album, ne transige ni sur son exigence artistique ni sur l'espoir qu'il nous suggère. Que la lutte soit belle, et ce, jusqu'au bout !

"Dieu que cette histoire finit mal", est-il dit aux premières mesures. D'où vient que nous ressortons chaque fois incroyablement vivant de ce constat qui pourrait n'être que découragé ? Un miracle à la croisée de ces deux arts majeurs que sont la chanson et la littérature.
Arnaud Cathrine
Avatar du membre
Tomek
CCV Forumeur
Messages : 129
Enregistré le : ven. 05 févr. 2010, 08:50
Contact :

Re: La chanson des écrivains / Le Monde

Message par Tomek »

Bel hommage que je ne peux qu'appuyer, tant le choix des morceaux et des textes me parle également.
Répondre