Depuis la tournée pour la sortie de la Musique / la Matière, Sébastien Buffet assure la rythmique des concerts de Dominique A. L'interview s'est déroulée en deux temps : lors d'un concert au Bikini en octobre dernier, au bord de la piscine bien vide, alors que Dominique A faisait tilter le flipper d'à côté, il nous raconte ses débuts, sa formation et toutes les rencontres qui peuvent en découler. Et puis le temps est passé. Nous avons saisi l'occasion de reparler de la tournée actuelle à Figeac sur une belle place où le soleil avait du mal à réchauffer les vieilles pierres. Et oui entre temps, de nombreux concerts avaient été donnés, puis le disque d'or, les Victoires...
Sébastien, quelle a été ta formation musicale ?J’ai commencé au conservatoire par de la flûte traversière. Ensuite à 14 ans, j’ai pris des cours de batterie, tout en jouant un peu de guitare. Mon premier véritable groupe, c'était vers 17 ans, on a fait plein de petits concerts et une tournée mémorable en Espagne ! Après une tentative d'étude, j’ai repris la batterie de façon très sérieuse, en réalisant que ça représentait mon avenir. Mais cela peut prendre du temps, je suis officiellement devenu professionnel de la musique à 27 ans, alors que j’en ai 42 aujourd’hui. Donc ça fait à peu près quinze ans que je suis intermittent, à faire des tournées, des disques, dans différents groupes, et notamment beaucoup avec Autour de Lucie. Lorsque tu multiplies les contacts, tu commences à rentrer dans un petit réseau, et tu arrives à rejoindre des projets parallèles plus ou moins dans le même circuit.
Et tu es la preuve bien vivante qu’il ne faut pas être rennais ou breton pour jouer avec Dominique A.
Eh bien la preuve que non ! Mais c’est vrai qu'en règle générale, la plupart des projets partent de Paris, les tournées également. Avec Dominique A, c'est original, ça démarre de Nantes ou Rennes, et ce sont les quelques parisiens qui doivent s'adapter et rejoindre les autres.
Comment en es-tu arrivé à jouer pour Dominique A ?Je le connaissais pour l’avoir vu plusieurs fois en concert, on se croisait lors de tournées des fois. Dominique Brusson faisait le son d’Autour de Lucie quand il ne faisait pas celui de Dominique A, et c’est lui qui m’a demandé de rejoindre le groupe pour le live de la Musique et la Matière. J'avais déjà fait une promo télé par son intermédiaire à la sortie de "L'horizon" (titre "dans un camion" pour l'émission Top of the pops). En 2009, j’ai rencontré Dominique A de façon un peu formelle, il a pris la peine de venir prendre un verre à la maison, on a discuté, et donc bien sûr, j’étais super content de rejoindre la troupe.
Tu suivais sa carrière ?
Oui il y a quelques succès incontournables qui font de lui quelqu'un d’important dans le milieu indé. Et je me souviens très bien de certains concerts où il dégageait quelque chose de puissant, et puis y’avait ce côté aussi… non pas élitiste, mais pas complètement évident, où il faut quand même un peu creuser, cela m’a toujours impressionné. Et ça continue ! D'ailleurs, je me suis longtemps dit que les 2 artistes français que j'aimerais accompagner étaient Bashung et Dominique A...
Alors tu arrives dans un contexte où Dominique A n’a pas de véritable batteur. Juste avant toi c’est Jérôme Ben Soussan qui s’occupe un peu de tout ce qui est percussions. Et avant ça, Sacha Toorop.
Du coup est-ce que cela change quelque chose pour toi d’arriver comme ça ? Il n’y a pas de poids en tous cas.
Non le poids, c’est la pression que je me mets, moi, tout seul. J’ai juste envie de faire du mieux possible, et de sortir de mon jeu quelque chose qui va servir tout le monde et où je vais prendre du plaisir. La pression, elle vient de là. Après au moment où l’on fait les choses, où l’on crée chacun sa partition, la pression est terminée. Ça vient comme ça vient, on est dans l’action. Après bien sûr, on peaufine, mais le plus gros arrive un peu comme ça, dans une espèce d’impro, qui n’en est pas vraiment une.
David Euverte a beaucoup participé au niveau des arrangements sur Vers les lueurs. Dans quelle mesure tu mets ta touche personnelle sur les morceaux ?
En ce qui concerne ma partie, je joue ce qui vient par rapport à ce que j’ai emmagasiné comme préécoutes, au son des maquettes, et par rapport aussi à ce que les autres font, aux idées qu’ils amènent, même au sujet de la batterie. Le travail du groupe, c’est un échange au sujet de chaque instrument. Chacun peut proposer un truc et s’il y a une idée qui est bonne à prendre, on ne se gène pas bien sûr.
Techniquement tu pourrais te définir comment en terme de batteur ?
Mon jeu est sans doute assez classique, mais forcément influencé par ce que j’écoute, et ce que j’écoute est très large, même si c’est assez pop rock à la base. J’écoute aussi bien de l’électro que de la musique classique. Il y a de nombreux groupes qui me procurent des émotions fortes instantanément comme Sonic Youth ou les Cure et puis des choses plus historiques comme Hendrix, les Doors ou Cream pour lesquels les batteries sont démentes ! Ce sont des choses que j’ai pas mal écoutées. C'est très éclectique, chaque moment a sa musique, il y a des rythmiques jazz ou disco qui me parlent beaucoup. Quand tu écoutes ce que je fais, c’est assez simple avec parfois des apports électroniques, afin de grossir le son, et pour s’amuser et faire un truc un peu plus original. C'est clair qu'on n’invente rien, mais on creuse toujours pour chercher « le truc qui n’a jamais été fait » ! Oui, c'est ça, y a évidemment une telle excitation à chercher les choses ! Dans une formation pop rock, tout a été fait ou presque. Et le fantasme de faire ce qui n’a jamais été fait relève un peu de l’utopie quand même...voire de la prétention. Mais faire sortir de toi quelque chose que tu n’as jamais fait et qui plaît aux autres, qui correspond à leurs attentes ou les surprend, c’est agréable. Personnellement, c’est une super satisfaction.
La tournée actuelle est longue, vous enfilez les dates. Comment vous arrivez à la gérer ?
Honnêtement, pour nous musiciens, c’est très bien d'avoir une visibilité sur six mois, voire presque un an (depuis le début de la tournée avec les vents en janvier 2013). Donc c’est idéal de pouvoir s’organiser autour de ça.
Les dates alternent souvent avec un break de trois, quatre jours. Qu’est-ce qui est le plus dur à gérer pour vous ?
Personnellement, c’est la vie de famille. Quand tu pars de la maison cinq jours, six jours… faut s’organiser. Et réussir à remettre les pieds sur terre dès que tu retournes au quotidien !
Depuis l’automne dernier, les vents ne font plus partie de la tournée, vous êtes moins nombreux sur scène. Qu’est-ce que cela change pour toi sur ces concerts ?
L’énergie n’est pas répartie de la même manière. On était quatre pour la tournée de la Musique / la Matière, là au départ on était dix, et désormais on est cinq, ça change complètement l’équilibre, l’énergie, l’intensité que tu dois mettre dans tel ou tel morceau, le placement des uns par rapport aux autres. Ça change vraiment beaucoup ! Pour la batterie, c'est évident, et même pour tous les autres instruments à mon avis. Y’a un équilibre à trouver entre toutes les différentes forces.
Et cet équilibre, vous le trouvez rapidement, au bout d’une résidence dans une salle, ou au bout quelques dates ?
Cette fois-ci on n’a pas eu beaucoup de répétitions, donc il nous a fallu emmagasiner des dates. Y’a des morceaux où c’est plus évident que d’autres, mais il faut toujours un peu de temps. On discute pas mal. On cherche à ce que ce soit le mieux possible, pour notre ressenti (car des fois cela peut être différent de ce que peuvent ressentir les autres), et faire que l’on trouve un truc interne bien équilibré, et que l’on joue bien ensemble afin d’avoir tous les mêmes intentions, que chacun s’y retrouve.
A vous côtoyer un peu sur les tournées, on s’aperçoit rapidement que vos discussions sont souvent centrées sur la musique, ça transpire la musique, comme une sorte d’émulation entre vous.
Oui effectivement, il y a une excitation à faire non pas ce qui n’a jamais été fait, même si c'est un fantasme, mais au moins faire quelque chose d’impressionnant pour les autres. Je l’avoue volontiers, le but de tout ça, c’est que les gens en prennent plein la tête et que ça reste un peu quand ils repartent. Et quand on ne parle pas de la musique que l'on fait, on échange sur la musique que l'on écoute, on découvre beaucoup de choses dans un camion !
Quel est ton ressenti sur cette tournée ?
Ça se passe vraiment bien à ce niveau là car le public semble apprécier. Même si on est toujours à la recherche de l’équilibre parfait, oui ça se passe bien, et l’on profite du parcours de Dominique A, et les salles sont pleines, entre 700 – 800 personnes. Y’a une vraie progression par rapport à la tournée de la Musique / la Matière.
La cérémonie des Victoires de la Musique était bien coincée au cœur de cette tournée. C’est un heureux événement pour vous tous.
Oui c’est vrai, c'était une belle surprise. Fallait pas trop espérer sinon on risquait d'être déçus. Du coup, on ne s’y attendait pas, c’était la cerise sur le gâteau. C’est la consécration pour la carrière de Dominique A, je pense qu’il a été très touché par cette Victoire. Après cela ne va pas tout changer, c’est un couronnement. Par contre si cela peut rebooster le disque et interpeler certains médias qui n’étaient pas encore trop intéressés par son cas, certaines grosses émissions…ce serait pas mal. Y’a aussi la perspective de faire des festivals, cet été, chose qui n’était pas prévue à l’origine. Ce n’est que du bonus.
C’est aussi une Victoire d’équipe.
Ah ben oui tout à fait. Je suis très fier d’avoir joué ce morceau (Rendez-nous la lumière), que j’aime beaucoup, et d’avoir participé à l’album, la tournée aussi. Plus y’a de monde qui découvre l’univers de Dominique A, mieux c’est pour nous. Les victoires, ça peut interroger les gens qui sont un peu curieux et qui étaient passés à côté de son univers assez particulier, de toutes ces atmosphères. Ses textes n'assènent pas des vérités, tu peux très bien t’approprier les morceaux selon l’interprétation que tu en fais. Y’a par exemple souvent un flou entre le « il » le « elle »… Même si au départ il doit bien y avoir un certain sens, tout le monde peut y voir ce qu’il veut. Et si cette Victoire peut parler à plus de monde, c’est tant mieux. En tout cas, c’est une belle histoire. Et enchaîner la remise du disque d’or puis les Victoires, c’est beaucoup d'émotion !
Tu parles de couronnement, donc ça appelle forcément à une redescente. Est-ce que tu as des projets, un après-Dominique A ?
Pour l’instant il n’y a pas de gros projets, mais comme tout bon intermittent du spectacle, la question commence à me tarauder pour la rentrée. Il va falloir que je me fasse violence pour commencer à faire signe en disant « je suis dispo !». Y’a des petits projets en cours tel celui de Frank (avec Jeff Hallam). Frank c’est un collectif pop seventies où les membres s’investissent de façon équitable et on a déjà deux EP à notre actif. Nous sommes finalement tous assez peu disponibles pour développer le projet mais on devrait faire prochainement un troisième EP. Notre ambition est juste de faire de bons morceaux, et de prendre du plaisir à les jouer ensemble. Après ça peut décourager les gens qui veulent nous aider à rencontrer le grand public, mais notre rythme est ce qu’il est !
Après il y a aussi un projet de spectacle pour enfants qui me tient très à coeur, avec notamment Sophie Bernado, qui faisait partie du quintet à vent qui a participé à l’enregistrement de 'Vers les lueurs" et ainsi qu’à la première partie de la tournée, Hugues Mayot son compagnon, et Valérie Bour, ma compagne, qui a écrit le scénario. Un livre disque devrait également se faire en parallèle. C’est un projet très excitant, assez nouveau pour moi, car c’est de l'autoproduction, avec recherche de subventions, etc. Les éléments concrets commencent à arriver donc c’est motivant, et ça devrait aboutir en 2014. Mais je ne suis pas dupe, il ne faut pas trop se faire oublier dans le métier, car on vous oublie très vite !
Propos recueillis en octobre 2012 et février 2013