A toute berzingue



A toute berzingue - Dominique A

Metal urlantIl y a quelques décennies de ça, il y avait dans la revue "Métal Hurlant" une rubrique qui s'appelait "A toute berzingue", rédigée par un dénommé Joe Staline, qui n'était autre que le rédac'chef, Jean-Pierre Dionnet lui-même. Il y recensait toutes les sorties possibles et imaginables de bouquins de SF, polar, illustrations etc..., avec chaque fois un petit mot explicatif ou une appréciation. Ça bouillonnait, on sentait son excitation rien qu'à citer tous ces noms, tous ces livres, et ces quelques lignes suffisaient à intriguer, voire à donner envie. On se demandait comment un être humain pouvait raisonnablement ingérer autant de bouquins chaque mois, car c'était sans doute le plus édifiant : tous, il les avait lus.

Je repense souvent à lui et à cette rubrique quand je suis pris de compulsivité, dans les librairies ou chez les disquaires (oui, les disquaires ; les putains de fichiers, je ne m'y résous pas). Et je me console en me disant que par rapport à lui, je suis loin du compte.

Ceci étant, j'ai pas mal tiré sur la corde ces temps ci, d'où l'envie de me recoller à un petit billet pour CCV. Sur le mode "à toute berzingue", donc, grosso modo.

punk45 Commençons par la musique : je ne sais pas pourquoi, peut être suite à un petit Gang of Four dans les enceintes de mon disquaire bruxellois favori (Caroline Music, Boulevard Anspach, plein centre), je suis à fond sur les compil punk et post punk du label Soul Jazz, notamment celles consacrées à la scène américaine du Midwest, d'Akron et Cleveland ("Punk and the decline of Midwest"): l'occasion de découvrir des groupes comme The Bizarros ou redécouvrir Pere Ubu, un peu oublié aujourd'hui, et pourtant largement au-dessus de la mêlée à l'époque. Bon, dans le lot, évidemment, l'ivraie ne manque pas, mais marrant de voir le charme que ça a encore, par instants. Ça a l'air encore si urgent, pas récupéré par l'industrie, à l'inverse de ce qui se passait au même moment à New York.

A noter chez Soul Jazz encore une autre excellente compilation, dans un autre genre, "New Orleans Soul 1966-1976", avec des cadors comme Aaron Neville, pour ne citer que le plus célèbre.

My brightest diamondOutre Alantique, toujours, mais plus contemporain : je suis longtemps resté à la porte de "This is my hand", le dernier opus de ma très chère Shara Worden, aka My Brightest Diamond, sorti l'automne dernier. Je le trouvais de prime abord assez pénible dans ses velléités groovy un peu empruntées, et ses envies de déconstruction permanente, de pousser systématiquement des chansons qui auraient pu être limpides dans leurs retranchements : écueil qui guette toute cette scène arty, de Saint Vincent à Sufjan Stevens, en passant par Son Lux et D.M. Stith (d'ailleurs, Sufjan Stevens, sans doute conscient du mur au bout du chemin, semble revenir à des choses moins abruptes, et c'est beau à entendre). Enfin toujours est-il que j'y viens enfin, à ce foutu disque, rattrapé par la beauté des mélopées de Shara, et sa voix, toujours aussi poignante (Joe Staline n'aurait jamais écrit un paragraphe aussi long).





Suun'O / Scott Walker
Au rayon arty toujours, la rencontre Sunn'O / Scott Walker tombe un peu dans tous les panneaux grand-guignol-indus-slowcore, finalement aussi prévisible qu'un single de David Guetta. Sans moi, les amis.







love inksPlus réjouissant, le retour d'un trio que j'aime bien, et dont je ne sais rien, si ce n'est qu'ils sonnent un peu comme des Young Marble Giants contemporains, un rien aguerris : Love Inks, et leur dernier album "Exi", aussi bon que leur précédent, "E.S.P" (sur lequel se nichait un petit standard, "Leather glove"). Ça ne révolutionne rien, mais ils ont un truc à eux, très attachant.





Playing carverAu rayon "mes potes font de la bonne musique", signalons la sortie de Playing Carver, collectif pop rock transfrontalier inspiré de textes de l'écrivain américain éponyme, dans lequel officient entre autres John Parish et mes (futur pour le second d'entre eux) acolytes Jeff Hallam et Boris Boublil. Ça se succède au micro et à la compo, et ça pourrait sonner comme un truc un peu hétéroclite, mais non, l'ensemble se tient étonnement bien, cohérent et très plaisant. Je précise que j'ai acheté ce disque, pour ceux que le soupçon du copinage effleure.





SongsoftimelostPlus folk, "Songs of time lost", scellant l'amitié et la complicité musicale de Piers Faccini avec Vincent Ségal autour de reprises diverses et variées et de quelques compos originales, figure parmi les plus belles réussites discographiques de l'an passé, avec de vrais moments de grâce, à l'instar du titre d'ouverture "Jesce sole".





En faisant le tri parmi les cd qu'on me passe pour avoir un avis et que je n'écoute quasiment jamais (je sais, c'est pas glorieux, mais nos jours sont comptés, et les oreilles pas toujours bien disposées), je suis retombé sur une démo 6 titres de La Féline, qui vient de sortir son inaugural "Adieu l'enfance". Du coup, je me suis dit que j'allais, avec quelques années dans la vue, écouter cette démo. Car son album me plait bien. Assez évanescent, avec un petit côté variète synthétique années 80 très mélodique, ce disque est surtout porté par la chanson titre, ode à l'enfance pleine de mystère, et qu'on sent "chargée" (confer le joli texte dans le livret sur une photo d'enfance disparue). Un de mes titres de chevet de ces derniers mois.



MockeMidget !Hexagone toujours, le retour du duo masculin féminin Midget !, dont le deuxième tir, "Bois et charbon", affine le propos, dans un registre chanson folk gentiment tordue, fluide et retorse à la fois, avec des lignes mélodiques en escalier, des notes qu'on n'attend pas : tout comme sur "L'anguille", premier disque solo de Mocke, moitié mâle de feu Holden et de Midget !, un disque vinyle instrumental de 13 courtes pièces où son jeu de guitare, extrêmement typé et identifiable, habile mais jamais bavard, continue à produire quelques étincelles.





Marc DesseTransition : Mocke officia un temps avec Silvain Vanot. Qu'on jurerait par moments entendre dans le premier album de Marc Desse : petite accointance vocale, de ci de là. Pour le reste, le son est plutôt 80's (oui, encore), avec des guitares noise brumeuses et des claviers millésimés faisant trempette dans de laaarges réverbes. On pense parfois aussi aux premiers Daniel Darc, pour le coté 60's avec synthés. Intrigant, avec un goût persistant de revenez-y.




Èlg est le projet d'un jeune musicien croisé dans une soirée de tous les dangers, et qui m'a aiguillé sur ses moult projets, tantôt folk, dans une veine Belin décharné (oui, c'est possible), tantôt electronica vaporeuse, expérimentale sans être rédhibitoire. Allez y voir sur le net pour en savoir plus, si le coeur vous en dit.



A part ça, Nadine Shah revient en avril et c'est une foutue bonne nouvelle. Pas fini d'épuiser son "Love your dum and mad" d'il y a deux ans.


Notre familleQuelques livres : au-dessus de la mêlée parmi tous ceux que j'ai lu ces derniers temps, "Notre famille" d'Akhil Sharma, éditions de l'Olivier. Le récit très émouvant, d'une justesse confondante, et teinté d'un humour un peu distant, d'une famille d'Indiens (d'Inde) émigrée aux USA, et dont le grave accident survenu au frère du jeune narrateur va bouleverser la trajectoire : confrontée à cette épreuve (le frère, atteint de lésions cérébrales, est totalement paralysé), la famille tente vaille que vaille de se maintenir à flot, devant en plus se coltiner l'alcoolisme du père, dépassé par la situation. Culpabilité, obsession de la réussite sociale comme moyen d'intégration, codes des rapports entre migrants, sont quelques uns des thèmes abordés dans ce très très beau livre d'une écriture fluide, livre que son auteur a mis plus de 10 ans à concevoir, le temps de trouver le ton, et la bonne distance.



OhanFinalement pas moins captivant, chez Picquier, spécialisé dans la littérature asiatique, "Ohan" d'Uno Chiyo, qui fût une romancière et modiste renommée dans le Japon du début du 20ème : la confession désespérée d'un homme tiraillé entre deux femmes, et dont la lâcheté provoquera la perte de son enfant. Mélodrame dont l'écriture vive, affûtée, fait tout le charme.









Laure - Des yeux d'enfant percent la nuit"Des yeux d'enfant percent la nuit" : parfois un incipit suffit. "Le triste privilège ou une vie de conte fée" est le court texte d'un autre esprit libre du début du 20ème, une femme qui choisît le pseudonyme de Laure, fille de bonne famille à la vie tumultueuse, et égérie de Bataille, qu'elle inspira. Elle y relate au scalpel son enfance étouffante, sous la coupe d'une mère dévote et d'un milieu confit d'hypocrisie. "Je me sens affreusement seule, magnifiquement seule", écrit-elle à l'âge de 17 ans. C'est Allia qui a exhumé ce texte, éditeur aux livres élégants, et décidément imbattable pour remettre en circulation de tels textes, puissants et pourtant oubliés.






Gérard BerrébyChez Allia justement, "Rien ne finit tout commence", long entretien passionnant entre Gérard Berréby, le tôlier des éditions, et son ami Raoul Vaneigem, un des principaux acteurs de l'Internationale Situationniste, et auteur du culte "Traité de savoir-vivre à l'usage des jeunes générations" : sur le ton d'une conversation très libre, le livre retrace la vie de Vaneigem, émaillé des réflexions avisées de Berréby, et richement pourvu en iconographie et textes additionnels. Pour ceux comme moi auxquels le situationnisme est terra incognita, ceci est un parfait introït, qui a l'insigne mérite de souligner la base poétique et humaniste du mouvement, au-delà de son aspect purement théoricien et programmatique.





Lionel Seppoloni,L eloignement un habitué de ce forum, a eu l'amabilité de me faire passer son livre "L'éloignement" (éditions Mutine), et il a bien fait : c'est un récit inspiré de son long séjour "au pays sans nom", comme indiqué en sous titre (la Guyane, en fait). Je ne l'ai pas encore terminé à l'heure où j'écris ces lignes, mais c'est un livre attachant sur une recherche intérieure au contact de "l'infamilier", si j'ose dire, toutes attaches rompues, et avec l'écriture (en l'occurrence ici riche et précise) en ligne de mire, comme point d'ancrage désiré.






DoctorsEnfin, deux bandes dessinées : primo, une nouveauté, traduit par les éditions Çà et Là, "Doctors" du new yorkais Dash Shaw, dont le patronyme douteux (pourquoi pas Matt Haüsen, tant qu'on y est ?) ne doit pas dissuader de jeter plus qu'un oeil à cette histoire hautement fantastique (grosso modo, une famille de scientifiques s'immisce dans l'au-delà pour ramener des gens post mortem), graphiquement très audacieuse.





broussailleEt enfin, une madeleine, disponible uniquement dans les solderies, les librairies spécialisées ou via le net : les aventures de Broussaille, une courte série de Frank et Bom initiée dans le Spirou des années 80 (chez Dupuis, donc), et sur laquelle je suis retombé par hasard. Les albums, tous indépendants les uns des autres (ô temps béni qui nous préservait des "tomes" et autres séries à rallonge, quand pas tout bonnement laissées en plan en plein milieu de l'histoire par un éditeur ou des auteurs indélicats), sont empreints de la même poésie que ceux du "Bidouille et Violette" de Hislaire (l'auteur de Sambre), à la même époque dans le même journal : un petit esprit gentiment baba, avec une douceur dans le trait, et un même talent pour les ambiances de ville en demi teinte. Très belles histoires où le rêve et le fantastique se fondent dans le quotidien : je vous recommande en particulier "Les baleines publiques" et "La nuit du chat".




C'est sur cette note apaisée que je vous quitte, avant de replonger dans le grand bain de la vie publique. Je prends ma respiration.

Caresses et bises à l'oeil, comme qui disait.

Dominique

Concerts

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